Poète, romancier, collaborateur aux Temps Modernes, scénariste, secrétaire de Jean-Paul Sartre
André Puig est arrivé à Paris en 1962, un chef-d'œuvre en poche écrit avec la frénésie d'un jeune révolté. Il s’installa rue de l’Ouest, puis rue Asseline d’où il fut expulsé, au début des années 1980, par un propriétaire-promoteur sans scrupule. Arlette Elkaïm-Sartre (1) raconte l’arrivée de Puig à Paris : “En 1960, Sartre reçut un gros manuscrit provenant d’un jeune “blouson noir” d’une cité de la banlieue toulousaine. C’était le récit romancé de sa vie d’adolescent ou plutôt celle de la bande dont il faisait partie. Sans hésiter, Sartre lui a donné son titre : “La Colonie animale” (2). André Puig l’avait écrit à 18 ans. Son sens aigu de la littérature et de la poésie nous avait surpris, car ce jeune homme, issu d’une famille modeste, qui avait fait de la prison, n’avait eu aucun accès à la culture. Il décrivait finement ce sentiment particulier d’amitié inconditionnelle, presque fusionnelle, à l’intérieur du groupe : la bande à l’abri du monde des adultes ; et en même temps sa terreur d’être différent et d’en être exclu. Il glorifiait l’appartenance presque animale à une bande, où il se comprenait à travers les autres et comprenait les autres à travers elle”. Arlette Elkaïm-Sartre ajoute : “Nous avons vu arriver un jeune homme frêle, avec un vieux blouson noir en similicuir, qui roulait un peu les épaules. Il avait lu “Situations I”, le premier tome de critique littéraire de Sartre, et avait eu la curiosité de lire les romans dont celui-ci parlait. Il avait été conquis par ceux de Faulkner et de Dos Passos”. En 1963, Sartre lui propose le poste de secrétaire devenu vacant. Il exercera cette fonction jusqu’à la mort de celui-ci en 1980.
La rencontre du rebelle et de la poésie
Dans son premier roman, André Puig décrit le désœuvrement, l'ennui jusqu’à la nausée, le désespoir jusqu’à la violence, des jeunes exclus de l'école et de la société. Ils “tiennent les murs”, se bagarrent et cassent des vitrines pour “exister”. La découverte de la littérature et de la poésie lui révèle un autre monde, au-delà de la cité. Puig va dès lors se servir d'elles pour exprimer sa révolte et son mal de vivre. Il a lu Jean Genet, la rencontre du voyou et de la poésie ! Dans ses deux autres romans publiés, Puig décrit de façon poignante l’insatisfaction permanente, la solitude et l’angoisse de vivre. L’influence de Faulkner éclate dans la manière dont il traite ses personnages qui se “sentent” entre eux sans vraiment se comprendre, qui se cherchent sans jamais se trouver. “L'Inachevé” (3) traite de l'impossibilité d'écrire sur le vécu qui tourne en rond ou se dérobe.
L'éblouissement de Mai 68
Les héros de “L'Entre-deux vagues” (4) vivent dans le 14e entre les rues de l'Ouest, du Texel et de Vercingétorix. Ce roman, l'un des plus beaux sur Mai 68 à Paris, évoque les événements vécus par un groupe hétéroclite composé d’une employée, une étudiante, un insoumis et quelques autres qui vont se retrouver soudés à jamais par une expérience extraordinaire. Dans ce printemps en fête, le narrateur entrevoit l'amour et la lutte collective qui pourraient donner un sens à sa vie. Il se rappelle les combats de son père, ouvrier et militant communiste. Comment celui-ci aida des réfugiés républicains espagnols à passer la frontière ou à s'évader du camp de Brens (5) où le gouvernement français les avait enfermés ! Il évoque la dignité propre à ceux qui vivent dans la détresse et dont le combat passe avant tout par la solidarité et s’interroge sur sa propre incapacité à se battre, à surmonter les blessures de son enfance. Pourtant, il participe aux comités de lutte, se joint aux manifestants dans la rue, exalte la liberté et la fraternité comme ultimes recours contre l'injustice et la solitude. Ce printemps flamboyant annonce le grand soir qui renaît à la première grève, éclate dans les poings levés et finira bien par arriver. La lutte et la fête sont alors indissociables.
Mais dans l'après 68, les rêves refluent : “l’encre des lettres s’est mélangée de vin et de larmes”. Pour Puig, la vague se brise dans les bars comme “Chez Mme Renée”, rue de Plaisance, aujourd’hui disparu, où à défaut de vivre dans un monde sans dieu ni maître, on chante en buvant de la bière et du vin. “Viens Jef t'es pas tout seul”. L’alcool joue un rôle de lien, crée une complicité de circonstance avec des gens que l'on ne connaît pas. A la vie, à la mort. Pour Puig, dans les années 80, s'accélère la course éperdue d'un bistrot à l'autre, jusqu'au bout de la nuit, jusqu'à l'ivresse qui annihile les sens et la souffrance. L'aube blafarde que l'on apprivoise avec la première bière. Le 7 janvier, André n'était pas au café. Comme il l’avait écrit dans un de ses poèmes : “Un jour, tu seras là, lumière à ciel ouvert, sans moi”.
Josée Hélène Couvelaere
(1) Fille adoptive de Jean-Paul Sartre.
(2) Editions Julliard, 1963.
(3) Editions Gallimard, 1970, préface de Jean-Paul Sartre.
(4) Editions Gallimard, 1973.
(5) Camp d’internement dans le Tarn où furent parqués les Républicains espagnols fuyant la dictature franquiste et les Juifs sous le régime de Vichy.
André Puig est décédé le 7 janvier 2004. Tous ses livres sont épuisés.
Billet envoyé par Sartre à Puig en 1968… et retrouvé après la mort de Puig, en 2004 :
“Camarade ! J’ai fait ma révolution. Désormais le secrétariat est aboli. Vous devenez, dans mon effort de littérature critique, mon assistant. Sentiments dévoués et socialistes.
JPS
Junas juillet 1977 ou 1978, Arlette (à droite sur la photo), Puig et moi. Photo prise par Sartre qui était quasiment aveugle