Si les droits de la femme ont été rédigés par Olympe de Gouges en 1791, ils n’ont été acquis que récemment et restent encore fragiles et menacés. En France, jusqu'à la promulgation de la loi Veil sur l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) en janvier 1975, avorter était un crime lourdement pénalisé. Les médecins et sages-femmes qui le pratiquaient risquaient d'être radiés par le Conseil de l'ordre et donc interdits d'exercice. Les femmes qui n'avaient pas l'argent nécessaire pour aller à l'étranger, avortaient clandestinement. Les interventions pratiquées dans de mauvaises conditions tournaient parfois au drame, provoquant infections, septicémies, hémorragies ou embolies pouvant être mortelles. Les avortées n'avaient aucun recours puisqu'en se faisant connaître, elles risquaient la prison. C'était un acte solitaire vécu dans la détresse et la culpabilité. Les femmes étaient sous la coupe d'une société rétrograde qui, d'un côté condamnait l'avortement comme un crime et de l'autre traitait ses “filles-mères” et leurs “bâtards” comme des parias.
Manif du 20 novembre 1971 (photo publiée dans "Le Torchon brûle")
La “bataille de l'avortement”
C'est sur le terrain et dans les forums animés des années soixante que les militantes prirent conscience que seule la lutte des femmes pouvait faire avancer leur cause : “Un enfant si je veux, quand je veux !”. C'en était trop de ces milliers de femmes sacrifiées sur l'autel de l'hypocrisie religieuse (1) et machiste. C'en était trop des douleurs causées par les aiguilles à tricoter qui perforent l'utérus et fait couler le sang. C'en était trop de la maternité imposée à la suite d'un viol, de la souffrance des enfants non désirés, mal aimés, abandonnés, des femmes frustrées par l'interruption de leurs études et de leur carrière professionnelle. C'en était trop de la violence contre les mineures enfermées par leur famille dans des foyers-prisons “maternels” où elles accouchaient dans le secret et la honte, privées de leurs droits élémentaires. Aux côtés du Mouvement français pour le planning familial, la mobilisation se renforça avec la création de groupes féministes dont le MLF (Mouvement de libération des femmes, en 1969) et le MLAC (Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception, en 1973). Ce dernier fédéra les mouvements issus des féministes, des syndicats et des groupes d'extrême gauche. Des militantes se réunissaient pour apprendre la technique de l'avortement par aspiration et organiser la solidarité des femmes, quelque soit leur milieu social et leur nationalité. La détermination de ces groupes qui se battaient sur plusieurs fronts (2), y compris juridiques (3), permit à la loi Veil de voir le jour.
Manifestation du 20 novembre 1971 (photo de Catherine Deudon)
État des lieux aujourd’hui
Pour préserver la loi sur l'IVG, la vigilance et la mobilisation sont toujours d'actualité. Près de 40 % des femmes ont recours à l’avortement dans leur vie. Environ 200 000 interruptions volontaires de grossesse sont pratiquées chaque année en France, soit un avortement pour quatre naissances. Ce nombre est resté stable au cours des 30 dernières années. Contrairement aux arguments nationalistes évoqués avant 1975, la légalisation de l’avortement n’a pas eu d’impact négatif sur le nombre de naissances (d'ailleurs la France est le pays européen où l'on fait le plus d'enfants, avec l'Irlande).
Le plus grand danger qui menace aujourd'hui l'IVG vient de la dégradation progressive de sa prise en charge. De moins en moins de médecins sont formés pour pratiquer des avortements, c'est une option facultative qui ne débouche pas sur une activité lucrative et les lobbies anti-avortements sont très actifs, même dans les hôpitaux. La disparition progressive de la gynécologie médicale risque aussi de favoriser les campagnes anti-avortements (les gynécologues ont souvent été à la pointe du combat en aidant les femmes à connaître leur corps et donc à mieux se prendre en charge). Les femmes sont en permanence soumises à une propagande idéologique, comme les remises en cause régulières de l'IVG, du type amendement Garraud (créant un délit d'interruption involontaire de grossesse). Au sein même de l'Union européenne, des dispositions restreignent l'avortement dans des pays comme l'Irlande, le Portugal, Malte ou la Pologne. La France reste très en retard pour l'application des droits des femmes alors que la violence grandit à leur égard. Une autre menace vient du comportement même de femmes pour qui la prise de la pilule n'est pas vécue comme une libération, mais est assimilée à un médicament. Les jeunes filles culpabilisées par un environnement traditionaliste peinent à faire respecter le droit à disposer librement de leur corps, si chèrement acquis par leurs aînées !
(1) Le Pape et donc l'Église catholique condamnent toujours l'avortement.
(2) “Le manifeste des 343 salopes” déclarant avoir avorté (Appel signé en 1971 par 343 femmes célèbres en faveur de l'avortement libre).
(3) En 1972 à Bobigny, Gisèle Halimi, avocate, défend une jeune fille de 17 ans, Marie- Claire, accusée d'avoir avorté à la suite d'un viol. Ce procès, rendu public, a eu un impact considérable.
Fermeture des hôpitaux Broussais et Saint Vincent de Paul
Le centre d’orthogénie de l’hôpital Broussais était l’un des plus importants de Paris. Près de 70% des avortements y étaient pratiqués par IVG médicamenteuse (en comparaison, la pratique de ce type d’IVG est de 30% en moyenne, en France). L’avortement par aspiration sous anesthésie locale était une autre spécificité de Broussais, alors qu'elle est pratiquée sous anesthésie générale dans la plupart des hôpitaux. De plus, le centre était autonome, n'étant pas rattaché à une maternité comme c'est souvent le cas.
Avec la fermeture de Broussais et St Vincent de Paul, l’avenir de l’IVG est incertain, ces deux hôpitaux assuraient à eux seuls entre 30 et 40% du total des IVG pratiquées dans les AP-HP de Paris.
Avorter à la maison
Alors qu'aujourd'hui le droit à l’avortement est entravé par l’engorgement des centres IVG, la loi Aubry autorise la pratique de l’avortement chez soi pour les femmes enceintes de moins de cinq semaines. Cette loi est une avancée importante pour le doit à l'IVG. Votée en 2001, les décrets d'application ont été promulgués en juillet 2004. Elle porte le délai légal de 10 à 12 semaines, supprime l’autorisation parentale et facilite l’IVG médicamenteuse. La “pilule du lendemain” est désormais disponible auprès des infirmières scolaires et dans les pharmacies, sans prescription médicale. Le délit d’entrave à la pratique légale de l’IVG est intégré dans le code pénal. Enfin, la loi supprime les sanctions pénales liées à la publicité en faveur de la contraception ou de l’IVG qui constituaient un obstacle à la politique de prévention des grossesses non désirées et à l’information sur les moyens d’avortement autorisés.
Enfin, la notion de détresse a été supprimée du texte de loi autorisant l'Interruption Volontaire de Grossesse, le 21 janvier 2014, l'IVG devenant un droit à part entière.
Josée-Hélène Couvelaere
Manifestation du 1er février 2014 en soutien aux femmes espagnoles
Manifestation du 23 novembre 2019 pour dénoncer, entre autres, les violences conjugales dont les "Féminicides": femmes tuées par leur conjoint (ou ex conjoint). Il y en a eu 149 en France en 2019. Il y en a des centaines de milliers chaque année dans le monde.