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12 décembre 2017 2 12 /12 /décembre /2017 12:18

Si les droits de la femme ont été rédigés par Olympe de Gouges en 1791, ils n’ont été acquis que récemment et restent encore fragiles et menacés. En France, jusqu'à la promulgation de la loi Veil sur l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) en janvier 1975, avorter était un crime lourdement pénalisé. Les médecins et sages-femmes qui le pratiquaient risquaient d'être radiés par le Conseil de l'ordre et donc interdits d'exercice. Les femmes qui n'avaient pas l'argent nécessaire pour aller à l'étranger, avortaient clandestinement. Les interventions pratiquées dans de mauvaises conditions tournaient parfois au drame, provoquant infections, septicémies, hémorragies ou embolies pouvant être mortelles. Les avortées n'avaient aucun recours puisqu'en se faisant connaître, elles risquaient la prison. C'était un acte solitaire vécu dans la détresse et la culpabilité. Les femmes étaient sous la coupe d'une société rétrograde qui, d'un côté condamnait l'avortement comme un crime et de l'autre traitait ses “filles-mères” et leurs “bâtards” comme des parias.

 

                      Manif du 20 novembre 1971 (photo publiée dans "Le Torchon brûle")

 

La “bataille de l'avortement”

C'est sur le terrain et dans les forums animés des années soixante que les militantes prirent conscience que seule la lutte des femmes pouvait faire avancer leur cause : “Un enfant si je veux, quand je veux !”. C'en était trop de ces milliers de femmes sacrifiées sur l'autel de l'hypocrisie religieuse (1) et machiste. C'en était trop des douleurs causées par les aiguilles à tricoter qui perforent l'utérus et fait couler le sang. C'en était trop de la maternité imposée à la suite d'un viol, de la souffrance des enfants non désirés, mal aimés, abandonnés, des femmes frustrées par l'interruption de leurs études et de leur carrière professionnelle. C'en était trop de la violence contre les mineures enfermées par leur famille dans des foyers-prisons “maternels” où elles accouchaient dans le secret et la honte, privées de leurs droits élémentaires. Aux côtés du Mouvement français pour le planning familial, la mobilisation se renforça avec la création de groupes féministes dont le MLF (Mouvement de libération des femmes, en 1969) et le MLAC (Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception, en 1973). Ce dernier fédéra les mouvements issus des féministes, des syndicats et des groupes d'extrême gauche. Des militantes se réunissaient pour apprendre la technique de l'avortement par aspiration et organiser la solidarité des femmes, quelque soit leur milieu social et leur nationalité. La détermination de ces groupes qui se battaient sur plusieurs fronts (2), y compris juridiques (3), permit à la loi Veil de voir le jour. 

 

                        Manifestation du 20 novembre 1971 (photo de Catherine Deudon)

 

État des lieux aujourd’hui

Pour préserver la loi sur l'IVG, la vigilance et la mobilisation sont toujours d'actualité. Près de 40 % des femmes ont recours à l’avortement dans leur vie. Environ 200 000 interruptions volontaires de grossesse sont pratiquées chaque année en France, soit un avortement pour quatre naissances. Ce nombre est resté stable au cours des 30 dernières années. Contrairement aux arguments nationalistes évoqués avant 1975, la légalisation de l’avortement n’a pas eu d’impact négatif sur le nombre de naissances (d'ailleurs la France est le pays européen où l'on fait le plus d'enfants, avec l'Irlande).

Le plus grand danger qui menace aujourd'hui l'IVG vient de la dégradation progressive de sa prise en charge. De moins en moins de médecins sont formés pour pratiquer des avortements, c'est une option facultative qui ne débouche pas sur une activité lucrative et les lobbies anti-avortements sont très actifs, même dans les hôpitaux. La disparition progressive de la gynécologie médicale risque aussi de favoriser les campagnes anti-avortements (les gynécologues ont souvent été à la pointe du combat en aidant les femmes à connaître leur corps et donc à mieux se prendre en charge). Les femmes sont en permanence soumises à une propagande idéologique, comme les remises en cause régulières de l'IVG, du type amendement Garraud (créant un délit d'interruption involontaire de grossesse). Au sein même de l'Union européenne, des dispositions restreignent l'avortement dans des pays comme l'Irlande, le Portugal, Malte ou la Pologne. La France reste très en retard pour l'application des droits des femmes alors que la violence grandit à leur égard. Une autre menace vient du comportement même de femmes pour qui la prise de la pilule n'est pas vécue comme une libération, mais est assimilée à un médicament. Les jeunes filles culpabilisées par un environnement traditionaliste peinent à faire respecter le droit à disposer librement de leur corps, si chèrement acquis par leurs aînées !   

(1) Le Pape et donc l'Église catholique condamnent toujours l'avortement.

(2) “Le manifeste des 343 salopes” déclarant avoir avorté (Appel signé en 1971 par 343 femmes célèbres en faveur de l'avortement libre).

 (3) En 1972 à Bobigny, Gisèle Halimi, avocate, défend une jeune fille de 17 ans, Marie- Claire, accusée d'avoir avorté à la suite d'un viol. Ce procès, rendu public, a eu un impact considérable.

 

Fermeture des hôpitaux Broussais et Saint Vincent de Paul

Le centre d’orthogénie de l’hôpital Broussais était l’un des plus importants de Paris. Près de 70% des avortements y étaient pratiqués par IVG médicamenteuse (en comparaison, la pratique de ce type d’IVG est de 30% en moyenne, en France). L’avortement par aspiration sous anesthésie locale était une autre spécificité de Broussais, alors qu'elle est pratiquée sous anesthésie générale dans la plupart des hôpitaux. De plus, le centre était autonome, n'étant pas rattaché à une maternité comme c'est souvent le cas.

Avec la fermeture de Broussais et St Vincent de Paul, l’avenir de l’IVG est incertain, ces deux hôpitaux assuraient à eux seuls entre 30 et 40% du total des IVG pratiquées dans les AP-HP de Paris.

 

Avorter à la maison

Alors qu'aujourd'hui le droit à l’avortement est entravé par l’engorgement des centres IVG, la loi Aubry autorise la pratique de l’avortement chez soi pour les femmes enceintes de moins de cinq semaines. Cette loi est une avancée importante pour le doit à l'IVG. Votée en 2001, les décrets d'application ont été promulgués en juillet 2004. Elle porte le délai légal de 10 à 12 semaines, supprime l’autorisation parentale et facilite l’IVG médicamenteuse. La “pilule du lendemain” est désormais disponible auprès des infirmières scolaires et dans les pharmacies, sans prescription médicale. Le délit d’entrave à la pratique légale de l’IVG est intégré dans le code pénal. Enfin, la loi supprime les sanctions pénales liées à la publicité en faveur de la contraception ou de l’IVG qui constituaient un obstacle à la politique de prévention des grossesses non désirées et à l’information sur les moyens d’avortement autorisés.

Enfin, la notion de détresse a été supprimée du texte de loi autorisant l'Interruption Volontaire de Grossesse, le 21 janvier 2014, l'IVG devenant un droit à part entière.

Josée-Hélène Couvelaere

 

                    Manifestation du 1er février 2014 en soutien aux femmes espagnoles

 

Manifestation du 23 novembre 2019 pour dénoncer, entre autres, les violences conjugales dont les "Féminicides": femmes tuées par leur conjoint (ou ex conjoint). Il y en a eu 149 en France en 2019. Il y en a des centaines de milliers chaque année dans le monde. 

 

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6 mars 2017 1 06 /03 /mars /2017 18:25

- Réflexions à la veille de la manifestation des femmes du 8 mars -

Une armure de seins et de fesses assure le triomphe de la sexy poulette. Les seins, pointes dressées, sont moulés par le pull à fleur de peau. Les fesses sont galbées par le collant qui épouse leur rondeur provocante. La fente est écartelée par la couture du pantalon bien ajusté, d’une taille trop petite, mettant en valeur le mont de Vénus. Les jambes sont gainées de noir, rehaussées et affinées par de ravissantes bottines. La démarche est entravée par des talons trop hauts, une jupe trop courte, une veste trop cintrée. La taille dénudée dévoile le nombril et, occasionnellement, d’exquises fossettes. La mèche retombe sur l’œil cerné de Kohl. La bouche charnue, est empourprée, d’un rouge flamboyant.

La jeune fille se veut indépendante, mais reste prisonnière d’une image de sex-symbol, troublée, contrainte par le désir de plaire. De plaire surtout à ses copines, à elle-même, plus sinon autant, qu’aux garçons.

Le sourire enjôleur, la sexy poulette se retourne en faisant virevolter ses cheveux. Il arrive qu’elle soit contente quand les garçons murmurent “qu’elle est bonne”, même si elle ne comprend pas exactement ce que cette formule, vulgaire, veut dire, même si elle a conscience que c’est péjoratif et humiliant. N’exister qu’à travers le regard des sots, serait-ce le rêve des poupoules ? Veulent-elles revenir à la sujétion (forcée) de leurs grand-mères ? Sont-elles en pleine régression ? 

J’aime bien la sexy poulette quand elle se rebelle, quand elle fait la nique au niqab, quand elle porte fièrement sa féminité et les valeurs féministes mais je n’aime pas qu'elle tombe dans le piège du machisme. Cette poupoule-là, que fait-elle de la révolte de ses ainées ? Que lui reste-t-il du combat des femmes pour la dignité et la liberté ? Ce combat qui lui permet aujourd’hui de jouir de la totale égalité des droits juridiques, de contrôler sa fécondité, de sortir et travailler sans avoir à demander "la permission de papa, du chéri, du patron" ? Sait-elle que la « liberté n’est jamais acquise » et que la lutte des femmes est loin d’avoir totalement abouti, qu’il reste encore des droits à conquérir : l’égalité professionnelle et des salaires, la parité dans les instances du pouvoir politique et au sein des entreprises, la lutte contre les violences, le harcèlement et les stéréotypes sexistes, pour ne citer que ceux-là (1).

Rappelons que les femmes ont été écartées de la citoyenneté pendant des siècles, et continuent de l’être dans certains pays. Que la société patriarcale les a bâillonnées, séquestrées, empêchées d’aller à l’école, maintenues en infériorité, infantilisées, occultant avec cynisme leur intelligence, dévalorisant leur émotivité et leur humanité. Le droit de vote des françaises ne date que de 1944…Quant au plaisir sexuel des femmes, il est encore bien souvent nié (il n’y aurait que les “salopes” qui jouissent…) : on le souille par la prostitution, le diabolise par la religion, le refoule dans la « morale » bourgeoise, le bafoue dans les écrits philosophiques et religieux. La peur du sexe de la femme a conduit non seulement à la maintenir en quasi esclavage dans un grand nombre de pays mais aussi à l’une des pires barbaries : l’excision du clitoris. Car ce qui est insupportable dans les sociétés qui la pratiquent (les femmes tenant parfois elles mêmes la lame du bourreau) est que cet organe est unique : ce “petit bout de bonheur” (2) ne sert pas à la reproduction mais uniquement à donner du plaisir sexuel et accéder à l’orgasme. L’excision est une mutilation générant une souffrance indicible, une amputation irréversible. Imagine-t-on un seul instant que, pour les hommes, cela équivaudrait à couper une partie du pénis ?

La chasse à la femme comme la chasse à courre? Plus le gibier est beau et galbé, meilleures sont la pâtée et la popularité. On exhibe « sa » femme comme un trophée, une belle cylindrée, et pourquoi ne pas lui flatter la croupe pour montrer qu’elle est bien à vous, votre petite chose. Bien des femmes au cours des siècles ont du se protéger de l'appétit sexuel qui va jusqu’au viol, au déshonneur, à la domesticité, à la mort. Au lieu de contenir et punir la bestialité de certains hommes, c’est sur les victimes que l’on s’est acharné : enfermement dans les couvents, port du foulard et du voile obligatoire, serrage des jambes, abaissement des yeux et de la tête, soumission par la force et la violence, femmes muselées, battues. Quid du « devoir conjugal » ? Les épouses montées et prises avec brutalité. Le corps des femmes que l’on écrase, que l’on pénètre avec violence et maladresse, par méconnaissance, peur, égoïsme, mépris.

La bêtise, le racisme, comme la dignité et la fraternité sont universels. Il y a des “bons” et des “méchants” sous toutes les latitudes, quelles que soient la couleur de la peau, la race ou la religion. Mais le sexe, n’est-il pas l’ultime différence ? Même si « On ne naît pas femme, on le devient » (3), l’appréhension/ la préhension de la vie, l’action, le pour-soi, le développement de la personnalité sont-ils influencés par le sexe ? Les femmes pourraient-elles instituer une société plus juste, plus égalitaire, sans devenir des hommes comme les autres ? Le plus faible niveau de testostérone dans leurs hormones pourrait-il aider à l’élaboration d’une société plus tolérante où l’on ne rechercherait pas que le profit, la domination et le pouvoir ? Bien sûr, il y a des femmes-alibi qui endossent très bien le costume "viril" ("le  pouvoir est au bout du phallus"...symbolique...) Prenons l'exemple de Margaret Thatcher: une femme au service du néo-libéralisme sauvage, une femme pour liquider les services publics, écraser les grévistes et laisser mourir de faim neuf prisonniers politiques...Mieux qu'un mec! Ce serait trop simple s'il n'y avait pas le poids sur chacun-e de nous d'une idéologie qui aliène aussi bien les femmes que les hommes. Mais on résiste et on s'organise pour s'en émanciper!

Nous, les féministes, avons lutté pour l’égalité des droits juridiques, l’égalité dans l’éducation, les jeux des enfants, le travail, etc. De grands progrès ont été faits dans nos pays “démocratiques”, il y a même souvent plus de filles dans les universités que de garçons. Elles réussissent dans toutes les disciplines, y compris dans celles qui sont traditionnellement réservées aux mecs. Pourtant des obstacles subsistent. Les hommes s’accrochent à leurs privilèges, le fameux plafond de verre dans les entreprises par exemple, mais il n’y a pas que cela. L’envie irrépressible de séduction peut conduire la sexy poulette à flirter avec la servilité. Quand elle minaude ou se vautre avec complaisance dans la dévalorisation : “je ne suis qu’une fille” dit la chanson… C’est pourtant si chouette d’être une femme ! Et de prendre du plaisir et de la fierté à le vivre dans son corps et dans sa tête ! Allons ma sexy poulette, bats-toi pour imposer l’application des droits conquis par tes aînées et pour préserver ta liberté ! J’imagine un bataillon de sexy poulettes à la manif du 8 mars, chantant à tue-tête l’Hymne des Femmes :

Nous qui sommes sans passé, les femmes
Nous qui n'avons pas d'histoire
Depuis la nuit des temps, les femmes
Nous sommes le continent noir

Reconnaissons-nous, les femmes
Parlons-nous, regardons-nous
Ensemble on nous opprime, les femmes
Ensemble révoltons-nous

Le temps de la colère, les femmes
Notre temps est arrivé
Connaissons notre force, les femmes
Découvrons-nous des milliers!

Pour avoir toutes les paroles de la chanson, ouvrez ce lien :  http://jo-hel.over-blog.com/page-6686718.html 

(1) En France, le salaire des femmes est inférieur de 25% à celui des hommes, en moyenne (chiffres INSEE de 2015). Elles ne représentent que 21.9% des sénateurs, 18,5% des députés, 13.8% des maires et 5% des présidents des conseils généraux. Elles constituent 85% des travailleurs précaires et restent cantonnées dans certains emplois (ex : elles forment 99% des assistants maternels et 98% des secrétaires…et ne sont que 2% parmi les PDG des grandes entreprises). Elles assument encore plus de 75% des tâches ménagères et demeurent les principales victimes de harcèlement et de violences (on évalue à 75 000 les femmes violées chaque année, en France). L’accès aux moyens de contraception et à l’IVG reste fragile, pour en savoir plus sur l’IVG, cliquez sur ce lien :   IVG - LA BATAILLE DE L'AVORTEMENT

Sources : INSEE et Observatoire de la Parité

(2) Le clitoris est méconnu : c’est l’organe le plus sensible qu’on puisse trouver chez l’être humain avec près de 10 000 terminaisons nerveuses ou capteurs de plaisir. Le gland (long d’environ 1 cm) est la seule partie émergée du clitoris qui se prolonge, en profondeur, de deux racines longues de 10 cm qui entourent le vagin et l'urètre. Le gland est également relié à deux bulbes vestibulaires très érectiles, volumineux et longs.

 

                                                   Représentation du clitoris en 3D

 

                               Manif de février 2014

 

3) Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir.

Josée Hélène Couvelaere-Leclercq

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25 juillet 2009 6 25 /07 /juillet /2009 14:36

Sophie Germain - Une mathématicienne dans la tourmente de la Révolution

 

Peu de rues à Paris portent le nom d'une femme, moins d’une centaine sur près de 5000 ! Le 14e arrondissement ne déroge pas à la règle, puisque je n'en ai dénombré que... six. Aucune avenue, juste deux rues, deux places, une impasse et un carrefour…qu’une femme partage d’ailleurs avec son mari (place Victor et Hélène Basch). Les autres sont Julia Bertet, une actrice de théâtre du XIXème siècle, Flora Tristan, très récente dans le quartier puisque la jolie place portant son nom a été baptisée en mars 2004, Joséphine Baker, dont la place est située près de la gare Montparnasse, pas trop loin de Bobino quand même! Et sainte Léonie, dans une impasse…Il y a bien une rue Marie-Rose, mais sans patronyme. Lénine y habita pendant une partie de son séjour à Paris de 1909 à 1912. J'ai aussi trouvé une impasse Louise et Tony, là encore deux anonymes! Quant aux stations de métro, aucune ne porte le nom d'une femme (1), non seulement dans le 14e mais dans tout Paris, à l'exception, dans le 10e, de l'abbesse Marguerite de Rochechouart de Mont pipeau, accolée par la CMP (ancêtre de la RATP) au révolutionnaire Barbès, pourtant né un siècle plus tard !

 

Mais qui est donc Sophie Germain pour avoir l'honneur d’une rue à son nom?

Il fallut bien des ruses et du courage à cette jeune fille, née en 1776, pour assouvir sa passion des maths, découvertes par hasard en furetant dans la bibliothèque de son père. Les écoles pour filles n'existaient pas et il était inconvenant et vulgaire qu'une femme s’instruise et empiète sur le domaine réservé aux hommes ! Sophie n'a que 13 ans lorsqu'elle commence à apprendre le calcul et la théorie des nombres en étudiant, seule et en cachette, les travaux d'Euler et de Newton. Elle vole des chandelles pour s'instruire la nuit pendant que ses parents dorment. Nous sommes en 1789, les émeutes grondent dans les rues et la Bastille est prise. La marche vers la liberté et la conquête des droits de l’homme vont aider la jeune autodidacte à s’émanciper. Son père, un riche marchand, est un député actif du tiers état de l’Assemblée Constituante. Impressionné par la ténacité de sa fille, il consent à la soutenir.

 

S GermainA 19 ans, Sophie parvient à se procurer les cours de l'Ecole polytechnique (fondée en 1794 mais interdite aux femmes), en empruntant le nom d'un ancien élève, Antoine-Auguste Le Blanc. C'est sous ce pseudonyme qu'elle correspond avec le professeur Joseph-Louis Lagrange et quelques uns des plus grands mathématiciens de son temps, comme Carl Gauss et Legendre. Ses brillants écrits, dont certains sont publiés, l'amènent sur la scène publique et l'obligent à dévoiler sa véritable identité. Par bonheur, la majorité des scientifiques qu'elle côtoie est progressiste et elle intègre le club très fermé des savants de l'époque. Elle doit également cette ouverture à son milieu social : on admettait que les femmes de milieu aisé puissent acquérir une formation scientifique si cela leur permettait de briller dans les salons mondains. Bien que souffrant du manque de base scolaire, Sophie fait une découverte fondamentale en mathématiques pures concernant la théorie des nombres, qui donne son nom à un théorème : “les nombres premiers de Sophie Germain” (2). Cette propriété mathématique est alors la plus importante avancée sur le problème posé par le théorème de Fermat depuis Euler (1738). A partir de 1810, Sophie se consacre à la recherche appliquée. En 1816, elle réussit le concours de l'Académie des Sciences, en apportant une contribution majeure à “la théorie mathématique des déformations élastiques”. Elle est la première femme à assister aux séances de cette vénérable institution où elle se lie d'amitié avec Joseph Fourier, dont elle partage les idées révolutionnaires et la lutte contre les préjugés sexistes et sociaux.

 

Sophie Germain continua ses recherches en mathématiques jusqu'à sa mort. Elle resta célibataire et n’obtint pas de rétribution financière ni de reconnaissance sociale pour ses découvertes. Les résultats complets de ses travaux mathématiques ainsi qu’un essai philosophique écrit vers 1826 furent publiés à titre posthume. Sur la recommandation de Gauss, l'Université de Göttingen lui décerna un titre honorifique en 1830, mais elle mourut d'un cancer avant de le recevoir, en 1831. Témoin du mépris que la société réservait aux femmes, son certificat de décès ne la mentionne pas comme mathématicienne mais comme rentière ! Il faudra attendre le XXe siècle pour que la contribution de Sophie Germain aux avancées en mathématiques soit officiellement reconnue.

 

(1) Louise Michel est la seule femme à avoir donné son nom à une station de métro (qui se trouve sur la commune de Levallois-Perret).

(2) Un nombre premier P est appelé un nombre premier de Sophie Germain si 2P + 1 est aussi un nombre premier.

 

Josée Couvelaere

(Publié dans le journal parisien du 14ème arrondissement "La Page" et dans "Chemins de Traverse").

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